Dis toi bien que si quelque chose devait me manquer, ce ne serait pas le vin mais l'ivresse.
Suzanne, tu n'as que des qualités; physiquement, tu as bien vieilli telle que je pouvais l'espérer; en ce moment même, tu es parfaite dans ton double rôle d'épouse et d'hôtelière, mais tu m'ennuies, tout bêtement, tu m'ennuies... Je ne vois pas en quoi ce que tu sais de M. Fouquet peut te rassurer; en revanche, à ta place je m'inquiéterais d'avoir un mari qui vient de découvrir que tout ce qui était rassurant était ennuyeux, comme ces souvenirs qui nous entourent, dont on ne peut rien retrancher, auxquels on ne peut rien ajouter, parmi lesquels nous allons bientôt prendre la pose à notre tour; car nous arrivons à la dernière étape de notre vie... Alors, de l'imprévu, moi, brusquement, j'en demande encore et je le prends où il se trouve. Je ne veux pas qu'à mon côté on s'acharne à le réduire sitôt qu'il se présente.
Ces idées d'un autre monde, d'une autre vie possible, prochaine et pourtant dérobée, je dois les tenir de la religion où j'ai été élevé. Il y a du mysticisme dans l'extase d'un ivrogne contemplatif...

Un Singe en hiver, Antoine Blondin